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Turquie: «En disant Turkistan à la place d’Asie centrale», la seule chose enseignée «à nos enfants est le nationalisme»

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Kongsi
 

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C'est un changement qui n'est pas passé inaperçu. À l'école turque, dans les cours d'histoire, les programmes désignent désormais l’Asie centrale sous le nom de « Turkistan ». Autrement dit, le « pays des Turcs ». Ce changement illustre l’influence croissante de l’extrême droite dans le pays. Mais sans surprise, il n'est pas du goût de la Russie.

De notre correspondante à Istanbul,

« Pas Asie centrale, Turkistan ». Début octobre, en Turquie, les chaînes d'information proches du président Erdogan et de son allié d'extrême droite, le Parti d'action nationaliste, ont chaudement salué la nouvelle. Dans les manuels d'histoire, on enseigne désormais qu'il faut dire « Turkistan » – littéralement, « pays » ou « terre des Turcs » – pour désigner l'Asie centrale.

Sur les réseaux sociaux, certains médias en ligne reprennent l'information pour mieux la justifier : « Asie centrale » serait une expression de propagande russe pour effacer de ces régions la longue histoire des peuples turcs. Une histoire dont la Turquie serait, en quelque sorte, la dépositaire.

Exemple sur la chaîne de Fikriyat, maison d'édition de référence pour la pensée islamique turque : « L'expression "Asie centrale" s'inscrit dans le cadre des politiques d'assimilation mises en œuvre depuis des siècles par l'administration russe à l'égard des États et des peuples turcs. L'objectif est de supprimer le mot "Turkistan" de la langue des Turcs et de rendre ces peuples étrangers à leur propre terre. L'Asie centrale est un terme géographique. On ne peut pas dire que le concept d'Asie centrale soit erroné, mais il est très important de promouvoir le terme "Turkistan" afin de garder vivante la riche histoire du Turkistan. C'est une prise de position face aux politiques d'effacement identitaire. »

Les Turcs sont bel et bien originaires d'Asie centrale. L'histoire de ces guerriers nomades commence au Ve siècle dans les steppes de Mongolie, et les mènera en Anatolie au début du deuxième millénaire – cette Anatolie qui forme l'essentiel du territoire de la Turquie moderne. Mais chez les plus nationalistes, l'attachement national se double d'une adhésion à l'idéologie panturquiste : une appartenance, bien plus vaste, à la grande famille ethno-linguistique des peuples turciques. Une famille dont le berceau, l'Asie centrale, mériterait donc le titre de « pays des Turcs ».

Une multitude de nations en Asie centrale

Evrim Gülez est secrétaire d'éducation d'Egitim Sen, principal syndicat des enseignants de gauche : « Le gouvernement porte une conception uniformisante qui rejette complètement les différences. Il existe de nombreuses nations, de nombreuses langues et de nombreuses religions en Asie centrale. Mais le pouvoir actuel prône une vision qui efface tout cela derrière le seul étendard du nationalisme turc. En d'autres termes, le mot Turkistan est le résultat d'une conception qui rejette tous ceux qui ne sont pas Turcs et qui ignore toutes les religions qui ne sont pas de la croyance sunnite hanafite. Malheureusement, en disant "Turkistan" à la place "d’Asie centrale" la seule chose que nous enseignons à nos enfants, c'est le nationalisme. »

Cette énième polémique intervient au moment où enseignants et élèves turcs ont découvert à la rentrée les nouveaux programmes scolaires. Ceux-ci ambitionnent de former des « générations morales et vertueuses, ayant pour idéal (...) d'être utile à la nation ». De l'école maternelle au lycée, chaque cours est censé promouvoir un certain nombre de « valeurs » présentées comme « nationales ». Par exemple, les cours d'histoire – ceux dans lesquels les élèves étudient le Turkistan en lieu et place de l'Asie centrale – doivent transmettre le « patriotisme ».

« La non-résolution de la question kurde, un obstacle »

Une lecture très nationaliste qui n'a rien de nouveau, mais que 22 années de pouvoir du Parti de la justice et développement, l'AKP, allié depuis huit ans à l'extrême droite turque, ont exacerbée. Fatma Gök, spécialiste de l'histoire des politiques éducatives, lie cette transmission forcée d'un nationalisme panturquiste à la permanence de la question kurde : « S'il y a une question non résolue en Turquie, c'est bien la question kurde. Le nationalisme sert à légitimer les interventions de l'État dans les régions à majorité kurde de Turquie et de l'autre côté de la frontière. Et même si cette veine nationaliste a toujours existé, le pouvoir actuel l'a porté à un tout autre niveau après l'échec des derniers efforts de paix en 2015. La non-résolution de la question kurde est un obstacle majeur pour ceux qui prônent une société et une éducation égalitaires et respectueuses des libertés en Turquie. Ce n'est que le jour où ces problèmes seront résolus que nous serons en mesure de mettre en place des politiques éducatives plus démocratiques, pour une société plus démocratique. »

Dans les médias russes, la promotion du « Turkistan » a été fraîchement accueillie. Certains accusent Ankara de menacer les intérêts de la Russie en Asie centrale, et même de vouloir former une « coalition » anti-russe. Sans surprise, l'initiative n'est donc pas du goût des cercles pro-russes en Turquie – ceux qu'on appelle les eurasistes. C'est le cas, par exemple, de l'universitaire Cüneyt Akalin, interrogé par la chaîne eurasiste Ulusal Kanal : « Quand vous essayez de réécrire l'histoire – comme le font les responsables du ministère de l'Éducation nationale – vous risquez d'en payer le prix. Car d'autres pourraient faire pareil et décider, par exemple, d'appeler à nouveau Constantinople notre belle Istanbul. Il pourrait aussi y avoir des conséquences en politique étrangère. Ces grands mots peuvent plaire à certains cercles, mais ils peuvent aussi faire beaucoup de tort à la Turquie. »

Des critiques qui n'empêchent pas la Turquie de mener une politique d'influence de plus en plus active en Asie centrale, au moyen de coopérations économiques, militaires et culturelles. L'invasion russe de l'Ukraine semble même avoir donné un nouvel élan à ces visées centrasiatiques.

À lire aussiL'Asie Centrale en mutation

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De notre correspondante à Istanbul,

« Pas Asie centrale, Turkistan ». Début octobre, en Turquie, les chaînes d'information proches du président Erdogan et de son allié d'extrême droite, le Parti d'action nationaliste, ont chaudement salué la nouvelle. Dans les manuels d'histoire, on enseigne désormais qu'il faut dire « Turkistan » – littéralement, « pays » ou « terre des Turcs » – pour désigner l'Asie centrale.

Sur les réseaux sociaux, certains médias en ligne reprennent l'information pour mieux la justifier : « Asie centrale » serait une expression de propagande russe pour effacer de ces régions la longue histoire des peuples turcs. Une histoire dont la Turquie serait, en quelque sorte, la dépositaire.

Exemple sur la chaîne de Fikriyat, maison d'édition de référence pour la pensée islamique turque : « L'expression "Asie centrale" s'inscrit dans le cadre des politiques d'assimilation mises en œuvre depuis des siècles par l'administration russe à l'égard des États et des peuples turcs. L'objectif est de supprimer le mot "Turkistan" de la langue des Turcs et de rendre ces peuples étrangers à leur propre terre. L'Asie centrale est un terme géographique. On ne peut pas dire que le concept d'Asie centrale soit erroné, mais il est très important de promouvoir le terme "Turkistan" afin de garder vivante la riche histoire du Turkistan. C'est une prise de position face aux politiques d'effacement identitaire. »

Les Turcs sont bel et bien originaires d'Asie centrale. L'histoire de ces guerriers nomades commence au Ve siècle dans les steppes de Mongolie, et les mènera en Anatolie au début du deuxième millénaire – cette Anatolie qui forme l'essentiel du territoire de la Turquie moderne. Mais chez les plus nationalistes, l'attachement national se double d'une adhésion à l'idéologie panturquiste : une appartenance, bien plus vaste, à la grande famille ethno-linguistique des peuples turciques. Une famille dont le berceau, l'Asie centrale, mériterait donc le titre de « pays des Turcs ».

Une multitude de nations en Asie centrale

Evrim Gülez est secrétaire d'éducation d'Egitim Sen, principal syndicat des enseignants de gauche : « Le gouvernement porte une conception uniformisante qui rejette complètement les différences. Il existe de nombreuses nations, de nombreuses langues et de nombreuses religions en Asie centrale. Mais le pouvoir actuel prône une vision qui efface tout cela derrière le seul étendard du nationalisme turc. En d'autres termes, le mot Turkistan est le résultat d'une conception qui rejette tous ceux qui ne sont pas Turcs et qui ignore toutes les religions qui ne sont pas de la croyance sunnite hanafite. Malheureusement, en disant "Turkistan" à la place "d’Asie centrale" la seule chose que nous enseignons à nos enfants, c'est le nationalisme. »

Cette énième polémique intervient au moment où enseignants et élèves turcs ont découvert à la rentrée les nouveaux programmes scolaires. Ceux-ci ambitionnent de former des « générations morales et vertueuses, ayant pour idéal (...) d'être utile à la nation ». De l'école maternelle au lycée, chaque cours est censé promouvoir un certain nombre de « valeurs » présentées comme « nationales ». Par exemple, les cours d'histoire – ceux dans lesquels les élèves étudient le Turkistan en lieu et place de l'Asie centrale – doivent transmettre le « patriotisme ».

« La non-résolution de la question kurde, un obstacle »

Une lecture très nationaliste qui n'a rien de nouveau, mais que 22 années de pouvoir du Parti de la justice et développement, l'AKP, allié depuis huit ans à l'extrême droite turque, ont exacerbée. Fatma Gök, spécialiste de l'histoire des politiques éducatives, lie cette transmission forcée d'un nationalisme panturquiste à la permanence de la question kurde : « S'il y a une question non résolue en Turquie, c'est bien la question kurde. Le nationalisme sert à légitimer les interventions de l'État dans les régions à majorité kurde de Turquie et de l'autre côté de la frontière. Et même si cette veine nationaliste a toujours existé, le pouvoir actuel l'a porté à un tout autre niveau après l'échec des derniers efforts de paix en 2015. La non-résolution de la question kurde est un obstacle majeur pour ceux qui prônent une société et une éducation égalitaires et respectueuses des libertés en Turquie. Ce n'est que le jour où ces problèmes seront résolus que nous serons en mesure de mettre en place des politiques éducatives plus démocratiques, pour une société plus démocratique. »

Dans les médias russes, la promotion du « Turkistan » a été fraîchement accueillie. Certains accusent Ankara de menacer les intérêts de la Russie en Asie centrale, et même de vouloir former une « coalition » anti-russe. Sans surprise, l'initiative n'est donc pas du goût des cercles pro-russes en Turquie – ceux qu'on appelle les eurasistes. C'est le cas, par exemple, de l'universitaire Cüneyt Akalin, interrogé par la chaîne eurasiste Ulusal Kanal : « Quand vous essayez de réécrire l'histoire – comme le font les responsables du ministère de l'Éducation nationale – vous risquez d'en payer le prix. Car d'autres pourraient faire pareil et décider, par exemple, d'appeler à nouveau Constantinople notre belle Istanbul. Il pourrait aussi y avoir des conséquences en politique étrangère. Ces grands mots peuvent plaire à certains cercles, mais ils peuvent aussi faire beaucoup de tort à la Turquie. »

Des critiques qui n'empêchent pas la Turquie de mener une politique d'influence de plus en plus active en Asie centrale, au moyen de coopérations économiques, militaires et culturelles. L'invasion russe de l'Ukraine semble même avoir donné un nouvel élan à ces visées centrasiatiques.

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